Le Théâtre André Malraux était archi-comble hier soir. Il faut dire que le programme était alléchant : après Berstein, Capablanca et autres célébrités mineures, la nouvelle soirée « Plaisir des Yeux » rendait enfin hommage à cette figure mythique des échecs mondiaux qu’est Charles Nicolet.
La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, et le haut-lieu de la culture rueilloise se révéla bien trop petit pour accueillir les milliers d’admirateurs du génie des échecs qui s’étaient massés sur la place des Arts pour cette célébration, dans l’espoir d’obtenir, même à prix d’or, un ticket d’entrée.
Heureusement, les autorités locales, conscientes de la popularité du grand champion, avaient bien fait les choses, et disposé des échiquiers géants à l’extérieur pour permettre à tous de participer à cette soirée qui promettait d’être mémorable.
Pour les quelques centaines de chanceux massés à l’intérieur, ce fut une soirée de rêve. Pendant plusieurs heures, le célèbre animateur Bernard Largedéfaut passa en revue les parties les plus marquantes de la carrière du grand-maître, agrémentées de savoureuses anecdotes historiques, dont voici un (trop) court aperçu.
Le jeune Charles apprit les règles du jeu à un très jeune âge, au Palais des Pionniers de Rueil-Malmaison, dont on peut encore apercevoir les vestiges dans l’actuelle rue Beaumarchais. Pris en main par le fameux entraîneur Wilhelm Lestreling, il ne tarda pas à dépasser son maître, comme en témoigne cette combinaison exécutée à la fin de sa première leçon, alors qu’il n’avait encore appris que le déplacement des pions et des cavaliers.
Dans cette position, le jeune novice joua 1.Cf4+ Rh6 2.g8=C+ Rh7 3.Cgf6+ Rh6 4.Cxg4+ Rh7 5.Cef6+ Rg7 6.Ce6+ Rf7 7.d8=C+ Re7 8.c8=C mat.
Piqué au vif, le célèbre Lestreling blâma pêle-mêle le manque de concentration, le changement d’heure, la fatigue d’une longue journée de cours, son manque de familiarité avec les pièces Régence, etc. et proposa immédiatement à son jeune adversaire de disputer une deuxième partie. Arrivé en finale de pions, Lestreling, sentant poindre le danger, proposa nulle.
Le jeune Charles ne daigna même pas lui répondre et exécuta a tempo la combinaison suivante : 1.a8=C! d3 2.Cb6! cxb6 3.c7 b5 4.c8=C! b4 5.Cd6! exd6 6.e7 d5 7.e8=C! d4 8. Cf6! gxf6 9.g7 f5 10.g8=C mat.
Dès qu’il eut maîtrisé la marche des autres pièces, le jeune Charles prit la mesure des plus forts joueurs du club. A sept ans, il les massacrait tous en simultanée.
Son jeu tactique faisait merveille, comme en témoigne la partie suivante, disputée contre un solide amateur local, et où son style facétieux commence à poindre.
1.f3+ gf3 2.exd3+ cxd3 3.Ff5+ exf5 4.Te6+ dxe6 5.Cf6+ gxf6 6.Td4+ cxd4 7.a8=F+ Dd5 8.Fd5+ exd5 9.De5+ fxe5 10.Cg5 mat
Profitant de sa petite taille, Charles adolescent voyagea à travers toute l’Europe, dissimulé à l’intérieur du célèbre automate d’échecs : le Turc. C’est lui qui, grâce à un astucieux jeu de miroirs et de poulies, actionnait le bras de l’automate, donnant l’illusion aux spectateurs ébahis que la machine savait jouer aux échecs.
C’est de cette époque que Charles tient son surnom de « machine à jouer aux échecs». Et en effet, l’analyse de ses parties montre qu’en moyenne, il choisit dans plus de 60% des cas le premier coup de l’ordinateur Chess Challenger 7.
Parvenu à l’âge adulte, le jeune Charles Nicolet s’engagea avec ferveur dans l’Armée Impériale et prit part comme capitaine à la glorieuse campagne de Prusse. Au soir de la bataille d’Eylau, il eut l’occasion de disputer une partie contre l’Empereur lui-même. L’Aigle, mauvais joueur, envoya valser une pièce sous la table, que l’ordonnance de Charles, le dévoué Lagache, s’empressa de ramasser.
Rentré au bivouac, Charles accorda une partie à sa fidèle ordonnance, et constata avec surprise que Lagache, tout soldat qu’il était, lui donnait bien plus de fil à retordre que l’Empereur. Il eut alors l’idée d’un système qui permettrait d’étalonner la force des joueurs, indépendamment de la taille de leurs épaulettes. Ce système a perduré jusqu’à nos jours sous le nom de classement Eylau.
Après Waterloo, revenu à la vie civile, Charles Nicolet s’établit comme chirurgien dentiste dans sa ville natale, dont il devint une des personnalités les plus en vue. Il disputait fréquemment des simultanées contre les corporations locales.
Dans la position suivante, il se permit d’annoncer mat en 10 coups à un honnête commerçant.
1.e7 Da3+ 2.Tb4 Da7+ 3.Rxc4 Dxe7 4.Cxg6+ fxg6 5.Ff6+ Dxf6 6.Rd5+ Rg5 7.h4+ Rf5 8.g4+ Rxg4 9.Tf4+ Fxf4 10.e4 mat
Charles Nicolet était également un pilier de la vie culturelle locale, et il ne manquait pas un spectacle du TAM. Dans la loge qu’il y louait à l’année, il disputait régulièrement des parties contre des hôtes de marque. C’est là que, pendant un enregistrement de l’Ecole des Fans en 1858, il exécuta sa célèbre combinaison contre ses invités, le duc de Brunswick et le comte Herouard.
1.Txd7 !! Txd7 2.Td1 De6 3.Fxd7+ Cxd7 4.Db8+ !! Cxb8 5.Td8 mat
Par la suite, Charles continua de mener de front, avec succès, sa carrière professionnelle et sa carrière échiquéenne, et de participer aux grands tournois de son temps.
En 1956, à Santa Monica, il remporte la prestigieuse Horne Cup, et se voit remettre le trophée des mains du généreux philanthrope californien.
Charles Nicolet laissera également une trace indélébile dans la théorie des ouvertures. Sa contribution la plus révolutionnaire est sans conteste le contre-gambit Nicolet du gambit Blackmar-Diemer. Après les coups 1.d4 d5 2.e4 !?, Nicolet fut en effet le premier à imaginer la brillante riposte 2…c6 !!?, qui entraîne la partie vers de nouveaux horizons alors totalement inexplorés.
La carrière de Charles se terminera cependant sur une légère note d’amertume. En 1984, il défend son titre mondial dans la Salle des Colonnes de l’Hôtel de Ville de Rueil, contre un jeune joueur soviétique prometteur. Alors qu’il mène 5 – 3 et semble se diriger vers la conservation de sa précieuse couronne, le match est brusquement interrompu par ces dames du Comité de Jumelage de la Mairie, qui voulaient récupérer la salle pour une soirée choucroute avec une délégation de Bad Soden.
Dès lors, plus rien ne sera plus tout à fait pareil pour Charles Nicolet, qui décide de mettre fin prématurément à sa carrière échiquéenne, et de se consacrer dorénavant à l’art dentaire.
Le grand homme continue cependant à fréquenter le CERM, où il ne lui déplaît pas, certains samedis, de se mesurer aux modestes amateurs locaux, tout en égayant sa visite de quelque savoureuse anecdote du temps béni de Saint-Amant et La Bourdonnais.
Ah ah ah Excellent
Un grand bravo pour ce morceau d’anthologie.
Bravo au concepteur de cette biographie ,très bonne idée, même le nom de Nicolet , en Russe au tout début est juste.
Très bonne idée et très amusant , j’ adore.
Un grand merci , sauf que maintenant , j ai intérêt à assurer.
Au fait , c’est qui ?????? ce n’est pas signé Serait ce B…. D……… Qui dans le club trouvera le premier.
Très très drôle !
Bravo au talentueux reporter !